Etrangère aux yeux bleus



































L'ETRANGERE AUX YEUX BLEUS
YOURI RYTKHEOU

Editions Actes Sud - 2001

Une lecture de Raymond

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J'ai souvent pensé, en lisant "L'étrangère aux yeux bleus", de Youri Rythkéou, à notre ami Nigel Barley, l'anthropologue en déroute au nord du Cameroun. Car au départ, Anna Odinzowa n'est autre qu'une anthropologue, avec une bonne dose de naïveté. Et si elle épouse le beau Tanat, c'est davantage pour mener à bien ses études anthropologiques que par amour. Ce n'est que très progressivement qu'elle va se métamorphoser et prendre la défense de ce peuple qui est (presque) devenu le sien.... Pour finalement aller vivre aux Etats Unis !! Le dernier mystère à élucider pour nous sera de savoir si oui ou non elle a étranglé son geôlier à la fin de leur fuite ?

Et puis, bien sûr, il y a cette description impitoyable de la collectivisation imposée par Staline. Même aujourd'hui, cinquante ans plus tard, alors que l'on connait bien ces faits, on reste abasourdi par ce drame. D'autant plus que la société russe ne s'en est toujours pas remise.Cela dit, cet aspect (la dictature stalinienne) n'occupe pas trop de place dans le roman. L'essentiel se passe dans la toundra où l'auteur nous fait merveilleusement partager la vie de ce peuple par l'intermédiaire de cette étrangère. Le procédé littéraire est classique mais très efficace. Et puis c'est bien écrit et très agréable à lire.

Extrait

Selon la coutume, les incantations devaient se faire dans l'obscurité complète du polog. D'abord, aucun son ne parvint de derrière l'épais rideau de fourrure. Le suel burit qui montait dans la yaranga et s'échappait par le trou à fumée de la pointe conique du chapiteau, c'était, plein d'une souffrance indicible, le cri de l'enfant.

Quand soudain gronda le tambour, toute la yaranga vacilla. On avait peine à croire que cela venait d'une simple peau d'estomac de phoque bien tendue sur un rond de bois. Du fond de l'abri, le grondement grandissant, tantôt faiblissant. De temps à autre, un chant s'y mêlait, aigu, fin, qui ressemblait plutôt à une plainte lancinante montée du tréfonds d'un corps humain. Puis tout s'arrêtait. Ne résonnait plus qu'un insondable susurrement dans lequel on devinait la voix de Rinto.

Tout à coup, un cri déchira l'air. Même le bébé se tut quelques instants. Puis, le cri se coula en un chant régulier et mélodieux accompagné par le tambour. On avait l'impression d'entendre plusieurs tambours, là-derrière, dans le polog, et d'autres voix que celle de Rinto. Impossible de distinguer les paroles, malgré les efforts que fit Anna. Des mots, des grondements de tambour, des mélodies, tout se mélangeait.
Sans doute cela dura-t-il plusieurs heures car le soleil, bas dans le ciel, tombait déjà droit sur l'entrée de la yaranga.

Derrière, dans le polog, c'était le silence.