A la grace de Marseille



































A la grâce de Marseille

James Welch

publié en France aux Editions Albin Michel

James Welch au Festival des Etonnants Voyageurs

James Welch à St Malo, juin 2001- Photographe : Jean-Marc Gomis

Le résumé et les commentaires
d'Emmanuelle Allain

Buffalo Bill, le Wild West Show, vous connaissez ?

Des mots et une période de l’histoire ancrés dans l’inconscient collectif américain et aussi, dans une moindre mesure, dans celui de tout européen qui a vu des westerns étant petit ( génération des trente-cinq ans et plus, le western ayant disparu de notre cher petit écran depuis plus de dix ans, mais ceci est un autre sujet). On rêvait de ces tourbillons de plumes et de ces chevaux peinturlurés, on pressentait que l’indien n’était pas le méchant qu’on nous décrivait et on avait envie de chevaucher sur les grandes plaines avec lui et ses compagnons fiers et courageux…

Buffalo Bill a bien existé et il reste un personnage controversé ; mais c’est un fait historique qu’il payait bien ses " artistes " et les traitait avec un respect, relatif , mais rarissime pour l’époque. Voilà donc le point de départ des aventures de Charging Elk ( Elan qui charge ) et c’est dans ce décor bigarré que débutent ses pérégrinations. On sent bien dès les premières lignes du roman de James Welch que celui-ci nous prendra par la main pour un voyage sans retour. Les ombres de la destruction – presque d’annihilation pure et simple- que l’histoire avec un grand H fait peser sur le peuple des plaines, pèseront aussi de façon écrasante sur le destin du jeune héros. Un Charging Elk révolté, en rupture avec sa famille et bien sûr avec cette satanée culture blanche et bigote qu’on cherche à lui imposer. Le voilà donc embauché par le Grand Chef Blanc " Pahuska " comme l’appellent les indiens. Charging Elk s’embarque pour l’Europe avec la troupe au grand complet ; à partir de ce jour, il devra faire peur aux femmes pâles et à leurs petits enfants.

Sous le grand chapiteau, avec ses peintures de guerre et son vrai/faux regard de sauvage sanguinaire, il chevauchera tous les soirs en poussant des cris, jusqu’à la chute. Que fait-on d’un Indien du Wild West Show qui tombe de cheval ? On l’emmène à l’hôpital et…on s’en va.

Charging Elk est à Marseille, c’est Décembre et il est isolé dans ce nouveau monde. Un Indien d’Amérique, à Marseille, en cette fin d’année 1889, c’est comme un martien fraîchement débarqué sur la place de la Concorde ce matin. Ils ne seront que quelques-uns à vouloir l’aider, de façon concrète, symbolique ou seulement dans ses fantasmes d’espérance.

Wakan Tanka (le Grand Esprit), ne semble pas l’avoir suivi jusqu’ici et il ne devra son salut qu’à la bonté d’un couple qui le recueille, après des déambulations au petit bonheur la chance et un emprisonnement immérité.

S’ensuivent ses années d’apprentissage du monde des blancs, ses rêves de retour au pays, ses rêves d’amour. C’est la seconde période. Charging Elk a une famille, un travail, mais il ne s’intègre pas. Il est comme absent de sa vie durant toute cette période, celle de l’initiation au mode de vie et à la culture marchande occidentaux. Il fantasme autant sur la possibilité de payer son billet-retour par bateau que sur l’amour factice et tarifé qu’il vit avec une jeune prostituée. Il l’enrichit par sa grandeur à lui, par sa propre beauté, mais lui ne recevra en retour qu’une immense trahison qui ne dira pas son nom. Charging Elk tuera l’homme qui a ruiné son amour rêvé, et retournera en prison.

La seconde période du roman se clôt sur le procès de l’Indien, incapable d’expliquer son geste à la façon des blancs et selon leurs critères. Etranger à sa propre histoire, Charging Elk ne pourra même pas s’exprimer en français et essaiera de se justifier tant bien que mal dans sa propre langue, qui reste hermétique au jury, évidemment…

De retour en prison, et encore une nouvelle vie qui commence…

En promenant son jeune Indien dans la France du XIXe siècle, James Welch nous invite aussi bien sûr à mettre en perspective nos us et coutumes d’aujourd’hui et à interroger notre sens de la tolérance. Il témoigne des balbutiements de certaines formes d’ouverture d’esprit. Il adopte un style assez naturaliste dans les passages concernant la prison, tant celle de Marseille que celle de Perpignan, dite " La Tombe ".

Ayant échappé de justesse à la peine de mort grâce à l’action d’un jeune journaliste, Charging Elk est condamné à une peine à vie. Mais dix ans plus tard, le vent tourne, et il sort de prison, à la rencontre de son destin. L’éternelle question du retour sur la terre d’origine trouvera bientôt son dénouement… heureux et amer en même temps.

James Welch est un excellent conteur, et les histoires bien construites et bien documentées ne sont pas si nombreuses, alors pourquoi ne pas se laisser entraîner sur les traces de l’Indien Charging Elk ?

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Extraît

Marseille grouillait d'individus peu recommandables venus de tous les pays du monde, des hommes prêts à vous égorger si votre tête ne leur revenait pas. En disant cela, René avait fait le geste de se trancher la gorge, et Charging Elk avait tout de suite compris. Aussi avait-il soigneusement évité ces lieux mal famés. Du moins jusqu'à présent.

Les hommes étaient si occupés à se saouler ou titubaient déjà tellement sur la chaussée que le jeune Indien avait de nouveau le sentiment de devenir invisible, de sorte qu'il recouvra son assurance. Il regrettait cependant de ne pas avoir pris sa canne au lourd pommeau en bec de canard.

Il s'avança avec aplomb au milieu de la rue, passant rapidement devant les deux bars à marins, jusqu'à ce qu'il parvienne à la hauteur de la maison close. Il se fraya alors un chemin au milieu de la foule presque exclusivement masculine, monta sur le trottoir et jeta un coup d'œil à l'intérieur.

La pièce était telle qu'il se la rappelait avec ses murs peints d'une teinte chaude, ses beaux lustres, sa grande glace derrière l'élégant bar en bois et ses divans rouges capitonnés. Et, telle qu'il n'avait cessé de ses la représenter des semaines durant dans la solitude de son petit logis, il y avait la fille en déshabillé bleu.

 

Interview de James Welch
à l'occasion de la sortie de ce roman
sur le site de L'humanité

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Extrait de l'interview

Comment est née l'idée de ce livre ?
James Welch
. J'étais à Marseille en 1995, lors de la sortie de mon roman Comme des ombres sur la terre, avec mon éditeur, Francis Geffard. Je venais de faire des signatures dans une librairie et nous buvions un verre à la terrasse d'un bar. Un gars s'est installé à côté de nous ; il était vêtu comme un cow-boy, une chemise en jean, des bottes. Et il s'est mis à raconter que sa grand-mère, une Indienne...

4e de couverture

Charging Elk, un jeune Sioux, fait partie de la troupe du Wild West Show de Buffalo Bill, en tournée européenne à l'automne 1889. Par goût de l'aventure, il a quitté les siens et les grandes plaines pour partir à la découverte du monde des Blancs, ceux qui ont vaincu son peuple et qui lui imposent leur culture. Ainsi, chaque soir, à Paris ou ailleurs, lui et ses camarades jouent les Indiens sauvages et cruels pour le grand bonheur des foules. Mais c'est à Marseille que va se jouer son destin. Victime d'un accident, il s'enfuit de l'hôpital, sans savoir que la troupe est déjà repartie pour l'Italie. Commence alors pour lui, dans ce monde qui lui est inconnu, une longue série d'épreuves et de mésaventures dont une étrange histoire d'amour qui le poussera au meurtre et changera à jamais le cours de sa vie.

Choc des cultures, déracinement, exil, sur un thème extrêmement contemporain et à travers l'émouvant portrait d'un homme, James Welch a réussi le tour de force d'écrire un roman passionné qui scelle la rencontre de l'Ancien et du Nouveau Monde.

Pour moi, A la Grâce de Marseille est le meilleur livre de James Welch. Un roman superbe et absolument poignant dont l'écho résonne longtemps.
Jim Harrison

Lien avec la page Télérama sur "A la Grâce de Marseille" :
Lien avec Télérama, page sur James Welch