L'homme qui avait perdu son nom



































L'HOMME QUI AVAIT PERDU SON NOM

Couverture édition 10.18

Thomas Mc Guane
Thomas McGuane

Titre original : Keep the change
paru aux Etats Unis en 1989

Le titre original "Keep the change" signifie "Gardez la monnaie"... Il fait référence à la façon dont Joe Starling, après avoir dilapidé son talent de peintre, puis perdu son nom, sa chair, son identité, récupère tout ça quelque part dans le Montana.

Voilà quelques années qu'il a perdu de vue sa vocation de peintre, il passe aujourd'hui son existence à Key West, à illustrer des dépliants publicitaires. Et puis, un jour, il  décide d'abandonner son existence factice d'illustrateur de pub, de type qui ne croit surtout pas à ce qu'il fait, mais qui continue d'avancer comme en courant vers la catastrophe. Pour retrouver un peu de chair (il est devenu un fantôme), il prend sa voiture (une décapotable rose empruntée à Astrid, sa petite amie) et traverse les Etats Unis d'Est en Ouest. "... On t'a vu passer, espèce de fantôme ! Bonne route, mon vieux Joe ! C'était Dallas !..."

Il regagne l'Ouest ou l'attend un ranch dont il devrait hériter de son père, un homme extrêmement autoritaire, autodidacte, cow-boy devenu banquier. Joe Starling roule vers le Montana, vers un endroit que Thomas Mc Guane a inventé, DeadRock. Au volant de sa petite décapotable, il dépasse des parkings, des stations d'essence, des centres commerciaux, et des fast food... Métaphore de l'abandon d'un monde matérialiste.

Quittant la vie factice et artificielle qu'il menait à Key West  - c'est là que Thomas Mc Guane a mené une vie de "barjot" pendant quelques années -  Joe s'échappe donc vers l'Ouest en croyant y trouver la chair, la réalité, l'authenticité... toutes choses qui devraient aller de paire avec le grand air et les grands espaces. En fait, il se sent tout aussi mal, étranger, décalé, au milieu des ploucs du coin de son enfance, errant entre deux styles de vie, deux métiers, et entre deux femmes très différentes. Il y a Astrid,   la jeune cubaine amoureuse qui ne fait pas un pas sans traîner derrière elle une bonne vingtaine de paires d'yeux mâles scotchés sur ses fesses, et puis il y a Helen, son amour de jeunesse, un peu trop pleine de bon sens, de simplicité, de bonne volonté, et  toujours aussi docile avec son vieux père, Overstreet.

Joe est entre révolte ou intégration. <<Il hésite entre envie et mépris, entre rage et désœuvrement, un profond sentiment d'inutilité et de décadence.>> dit B. Matthieussent dans l'introduction.

Et puis, ce plus en plus, Joe finit par re-devenir lui-même, par re-gagner son nom, sûrement plus facilement au milieu des plaines du Montana qu'au milieu des cocotiers de Floride. Surtout lorsqu'il s'aperçoit qu'il s'est nourri pendant des années d'idées fausses sur un homme qui aurait pu être son ami, sur celle dont il croit pouvoir se passer d'aimer, sur un tableau de collines enneigées qui lui a toujours paru si mystérieusement beau, ou encore sur le fait que posséder un ranch pouvait lui apporter une certaine paix et une certaine jouissance.

Selon Brice Matthieussent, L'homme qui avait perdu son nom est un "roman d'éducation tardive".

 

EXTRAIT

Il profita de ce répit pour couper du bois et passa plusieurs journées au milieu des peupliers afin de débiter les arbres morts et de transporter tout ce bois sur le tas à côté de la maison. La taille sans cesse croissante de son tas de bois le fascinait. Il se sentit capable de faire monter ce tas plus haut que la maison. Le long du ruisseau, il coupa les arbres abattus par les castors. Tout en travaillant, il apercevait des truites sur leur frayère, qui se poursuivaient en barattant l'eau, et aménageaient leur nid dans le gravier. Les aigles, qui avaient entamé leur migration vers le sud, se posaient tout en haut des arbres nus qui bordaient le cours d'eau. A quatre cents mètres, on remarquait la silhouette monacale de rapace à queue blanche.

Il s'assit dans la forêt automnale, vieux bûcheron équipé d'une tronçonneuse orange vif. "Je pose pour l'éternité", pensa-t-il. Il était désespéré. Il était désespéré parce que la compagnie constante de questions qui restaient sans réponse lui ébranlaient les nerfs et suggérait qu'il s'agissait là d'une condition absolue, définitive et quotidienne.

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