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PELERINAGE A TINKER CREEK
Annie Dillard
(née en 1945 à Pittsburgh, Pennsylvanie)
Paru aux Etats
Unis en 1974
Traduction française : Pierre Gault
Edité en France en 1990 aux Editions Christian Bourgois
(disponible en 10.18)
Il y a une phrase (dont l'auteur est
peut-être Thoreau ?) qu'affectionne particulièrement Jim Harrison, et il ne se prive pas
de la citer souvent :
La réalité n'est
qu'un agrégat de toutes les perceptions de tous les êtres vivants.
Dans Pélerinage à Tinker Creek,
il est intensément question de la perception. La perception du monde naturel autour
d'elle qu'a une jeune femme de trente ans. Trente ans, c'est environ l'âge d'Annie
Dillard lorsqu'elle écrit ce livre. Elle habite alors dans une vallée de la chaîne des
Montagnes Bleues, en Virginie. Véritable journal de bord d'une naturaliste, ce livre
pourrait aussi avoir été écrit par Nelse, le fils de Dalva. Il n'y manque que l'aspect
plus charnel et révolté du jeune homme.
En suivant le fil des saisons, la narration
se poursuit, de descriptions minutieuses en émotions intenses, d'impressions fugitives en
réflexions digressives. Annie Dillard se veut attentive, pendant ses promenades, aux
événements naturels autour d'elle (glissement du vent, froissement de l'herbe,
"émoi tremblant d'une ride sur l'eau", avancée hâtive de l'insecte, festin
cruel de la grenouille, vol paresseux de l'oiseau). Devant tous ces
"micro-événements, en contemplant autour d'elle champs, sentiers, ruisseaux, elle
note ses réflexions sur le cours de la vie, sur sa fragilité, sur l'existence de Dieu.
Car, comme le dit B. Matthieussent dans son introduction, l'observation du monde
extérieur se double d'une découverte des mécanismes de l'esprit.
Parvenir à percevoir ces événements
naturels insoupçonnés, minuscules nécessite d'éviter de se laisser polluer par le
langage. Essayer d'oubler nos associations spontanées image/mot, et "faire taire la
rumeur de cet inutile babil intérieur qui nous empêche de voir". Il faut que le
miracle langagier puisse émaner du phénomène naturel qui se déroule devant nos yeux,
et non du travail de notre esprit.
Etre entièrement, corps et âme dans sa
ballade, s'abandonner à l'acte de marcher, de contempler autour de soi : "Mais il
existe une autre manière de voir qui implique qu'il faille s'abandonner". Pour
atteindre un état de non conscience de soi de l'esprit, il faut se laisser absorber
complètement.
Pour voir, il faut être amoureux, ou alors,
bien informé des choses car les spécialistes sont capables de retrouver les choses les
plus incroyablement cachées, ils connaissent d'avance la forme, la couleur, l'aspect, de
ce qu'ils cherchent à voir. Alors, le meilleur conseil qu'elle peut donner au profane,
c'est surtout de garder les yeux bien ouverts.
EXTRAIT
Il m'est arrivé plusieurs fois de voir une
grenouille prise sous les algues. J'étais là, les yeux rivés sur la mare, et
brusquement, la fange verte, à mes pieds, se mettait à sauter en l'air, puis retombait.
On aurait dit que quelqu'un, là dessous, essayait de traverser la surface à coups de
manche à balai. Et puis, un peu plus loin, ça sautait à nouveau, une soudaine flamme
verte bondissante, dans un silence absolu - c'est vraiment là une façon pour le moins
déconcertante de passer sa soirée. La grenouille finissait toujours par trouver un
espace libre, et émergeait à la surface de l'amoncellement d'algues, traînant après
elle de longs filaments verts et visqueux accrochés à son dos, avant d'émettre un son
caverneux, comme un tuyau qu'on jette dans une grotte.
UVRES PUBLIEES
EN FRANCE
AUX EDITIONS CHRISTIAN BOURGOIS
Apprendre à parler à
une pierre
parution : 1992
Au présent
parution : 2001
En vivant, en écrivant
parution : 1996
Les vivants
parution : 1994
Pèlerinage à Tinker Creek
parution : 1990
Une enfance américaine
parution : 1990
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