Dames de l'ouest



































FEMMES ECRIVAINS AMERICAINES
le dimanche 7 mai 2000 à St Malo

Extrait du roman de Jim Harrison : Dalva

Le journal de Dalva : Tous mes ancêtres que je connais étaient de grands épistoliers et de fervents adeptes du journal intime. Comme s'ils croyaient qu'ils risquaient de disparaître s'ils ne couchaient pas leur vie sur le papier. Un temps, vers l'âge de 25 ans, j'ai interrompu ces habitudes, mais j'ai bientôt eu le sentiment de me répéter, de devenir assommante. J'ai donc recommencé d'écrire pour me débarrasser de mes pensées et de certaines informations pour faire de la place au nouveau. On procède ainsi à un relevé topographique d'une région, puis on va de l'avant. Bien sûr, il est beaucoup plus facile d'écrire quand on ne vise pas à la publication.

Déchiffrer la trame
Jean-Claude Dunyach

Extrait d'une très belle nouvelle du recueil : Le futur a déjà commencé
Editions Librio, 10 F

Les tapis du haut Kurdistan enferment chacun une tranche de vie dans la trame serrée de leurs fils de laine. Chacun d'eux est si vaste, si compliqué, que chaque tisseuse n'en réalise qu'un ou deux, rarement trois, dans toute son existence. Les amateurs les regardent et s'émerveillent de la complexité de leurs motifs et de la beauté de leurs nuances (...). Lorsque je réussis à les apprivoiser, les fils chantent au creux de ma paume et me parlent. 8e siècle, dis-je, technique du double point alterné, laine dégraissée avec de l'urine, puis bouillie avec des extraits de plantes. Origine kurde, je dirais. Un des villages des montagnes qui vendaient leur production aux caravanes. Je me trompe ?

Même analyse de mon côté. (...) Les colorants végétaux son typiques du Kurdistan, sans aucune précision. Frustrant, non ? Ce tapis est né dans un des villages que les bombes irakiennes sont en train de pilonner, en admettant que les conquérants turcs ne l'aient pas déjà détruit des siècles plus tôt ! (...)

Quelqu'un a tissé ce tapis, parle moi de lui.

D'elle... (...) une façon de serrer les fils, plus respectueuse, plus économe. Je crois que c'est une petite fille qui a commencé ce tapis.

Et c'est une femme qui l'a achevé.(...)

Voici où tout commence : des nœuds de départ dans la trame. Une gamine, même pas pubère, avec des doigts suffisamment petits pour nouer les crins de poney qui serviront de point d'appui pour le motif. Au début, elle ne serrait pas les brins assez fort et il y a des irrégularités. Tu les sens ?

Je suivais son récit avec le gras du pouce, comme si je lisais un livre. Les aspérités étaient à peine sensibles et je me demandais combien de temps il avait fallu à l'histoire pour émerger de l'obscurité.

(...) elle est devenue irrégulière, mais ça ne dure pas.

Tu n'es pas une fille... Les première règles perturbent mais on s'habitue au phénomène. Bien obligé. Donc, notre minuscule tisserande est en train de se métamorphoser en femme. Tu sens comme les nœuds sont devenus plus fermes au fil des ans ? L'hiver, l'été, ne sont que des rides à la surface du motif. Jusque-là, rien ne permet de la distinguer de ses consœurs qui accomplissent le même travail dans son village. Mais, là (elle guidait ma main avec sûreté) surgit le premier mystère.

Entre les noeuds réguliers, il y en avait d'autres, disposés le long de la trame par groupes de cinq. Ils s'entrelaçaient aux noeuds originaux comme si on avait voulu les dissimuler. J'ai frotté l'emplacement contre ma paume avec perplexité.

Jamais vu ça. C'est trop régulier pour être une erreur et ça ne sert à rien, structurellement parlant.

Imagine une réponse.

Un motif religieux, peut-être, un truc secret de secte, comme une sorte de chapelet ? ou alors...

Je suis stupide, n'est-ce-pas ? C'est encore une gamine, elle ne se rebelle pas, ne complote pas. Ce qu'elle a fait, c'est écrire son nom dans le seul code qu'elle connaissait.

Son nom, ou celui de son amoureux. Difficile de le savoir, à ce stade, mais regarde, tout de suite après, le tapis s'interrompt une première fois. On a noué les brins pour que le motif ne se défasse pas, et les fils de trame sont aplatis. Quel événement dans la vie d'une gamine pubère l'autorise à cesser le travail ? Le mariage. Notre petite est devenue une femme à part entière, qui reprend sa place derrière le chevalet quelques mois plus tard.

 

 

Conférence animée
par Martine Laval (Télérama)

Lien avec le site TELERAMA

Ces dames de l'Ouest sont quatre. Il y a Pam Houston, Judith Freeman, Karla Kuban et Suzan Power. Elles sont accompagnées de Francis Geffard, des Editions Albin Michel, dont la passion pour l'Ouest américain et les Indiens a donné naissance à la collection TERRES D'AMERIQUE.

Toutes, elles donnent dans leurs livres une image de l'Ouest sauvage qui n'a plus rien à voir avec la littérature exotique de l'époque des cow boys et des indiens ou de la ruée vers l'or. C'est plutôt une image variée de l'Amérique d'aujourd'hui qu'on peut y trouver. Leurs personnages, bien qu'Américains, sont très proches de nous, que l'on habite à St Malo ou Paris. Dans leurs livres, les héros se confrontent à leur pays et à sa culture.

Pam Houston, née dans les années 60, publia l'an dernier J'AI TOUJOURS EU UN FAIBLE POUR LES COW BOYS, elle décrit dans ce recueil de nouvelles les attributs virils des relations homme/femme,  les rapports de force sur lesquelles tout est basé, dans un pays dont la culture est par essence basée sur violence et domination. Richard Ford a eu un coup de foudre pour cette première oeuvre.

Susan Power est née à Chicago en 1962. Sa famille est originaire de la réserve de Standing Rock, dans le Dakota du Nord. Elle  écrit sur plusieurs générations entremêlées d'indiens Sioux. Elle transcrit dans son livre - DANSEUR D'HERBE - ALBIN MICHEL, 1994 - un véritable amour de son identité et une grande conscience de son appartenance à la culture des Sioux.

Judith Freeman, née en 1946 dans le Nord de l'Utah, est critique littéraire pour le LOS ANGELES TIMES et vit le reste du temps dans le nord de l'Idaho. elle a déjà écrit trois romans. Elle présente dans toute son oeuvre une épopée mystique de la colonisation de l'Ouest, et du désert américain par les Mormons, au XVIIIe siècle. Elle propose une réflexion sur la polygamie, elle qui, comme beaucoup d'américaines du XXe siècle, est préoccupée par la condition féminine. Son premier roman traduit en français est ET LA VIE DANS TOUT CA, VERNA ? qui a été publié en 1999 chez ALBIN MICHEL.

Karla Kuban, âgée d'un peu plus de 40 ans, née à Minneapolis, vit aujourd'hui  à Santa Fé. Son premier roman, HAUTE PLAINE, est en cours d'adaptation pour le cinéma. L'action se situe à la fin des années 60, avec la Guerre du Vietnam pour fond. Elle y traîte, entre autres, du conflit entre mère et fille. Dans ce qu'elle décrit, nul imagerie bucolique, mais un mélange de pulsions de vie et de mort, de très violentes émotions.


La première question qui leur est posée par l'animatrice, Martine Laval, est

"Pourquoi avoir fait ce choix d'écrire ?"


Deux choses ont motivé
Pam Houston. D'abord, il y a eu un désir de dire ce qu'il y avait à l'intérieur de moi. "J'ai grandi dans un milieu où personne n'exprimait ce qu'il ressentait. Dans ma famille, les gens étaient taciturnes. Il fallait que je trouve une façon d'exprimer ce dont je rêvais. J'avais besoin de traduire mon état intérieur. Dans l'Utah et le Colorado, les paysages ont servi de vecteurs et mon permis d'ouvrir mon imagination, et de traduire mon imagination. Ce sont donc aussi les manifestations physiques (canyons, plaines, montagnes) qui motivent mon écriture..."

Pour Susan Power, le fait de pouvoir expliquer son propre monde et ses propres expériences revenait à survivre. "J'ai beaucoup lu pour m'échapper. J'adorais ça. Cela revenait à connaître d'autres mondes, à fuir le monde réel, à dire je m'identifie à ce que je lis, c'est ma propre expérience. J'aimais pouvoir lire à travers le filtre de ma propre vie. Comme je vivais à Chicago, j'étais la seule indienne dans ma classe. Dans les manuels scolaires, on présentait les femmes et les filles indiennes comme des êtres usés et abusés par les hommes. Alors j'avais besoin d'exprimer que c'est faux, que dans notre culture, les femmes sont fortes. On m'avait appris dans ma famille la tolérance, aucun rôle n'est directement assigné aux hommes ou aux femmes. Et nous femmes indiennes pouvons facilement jouer des rôles de leader politique.Je voulais qu'à travers ma voix d'écrivain, des gens de ma génération, des indiens puivent se reconnaitre, je voulais traduire mon expérience pour que d'autres indiens puissent ce reconnaître dans mes écrits.

Pour
Judith Freeman, qui a grandi dans lUtah : "J'ai le sentiment d'avoir grandi dans une culture bizarre, la culture mormon. J'ai lu des livres à l'école, et vers 18, 19 ans, j'étais une lectrice passionnée : Thomas Hardy, Virginia Woolf, faisaient partie de mes favoris. Et je me suis rendue compte à cet âge là que je voulais vraiment raconter des histoires, Très très peu de Mormons sont devenus des écrivains. Il fallait qu'il y en ait un qui écrive l'histoire de ce peuple-là. Et quelqu'un de ma génération, mais il faut d'abord quitter la tradition mormon avant de pouvoir écrire.

Chez Karla Kuban, née à Minneapolis, pas de livres à la maison dans son enfance, à part quelques encyclopédies familiales, et les livres sur l'aviation qui fascinait son père. La bibliothèque, alors que j'étais petite fille, fut une véritable révélation. Je lisais tout le temps, mais sans divulguer ma passion autour de moi. A 19 ans, je suis tombée très sérieusement malade. Il s'agissait d'une maladie grave transmise par les tiques. Quatre personnes de ma famille tombèrent malades. On ne fit le diagnostique de cette maladie que lorsque j'eus 34 ans. Entre temps, mon état de santé m'interdit de lire ni d'écrire, surtout dès 22 ans, car mon cerveau était aussi lésé par la maladie, et je devais relire 3 ou 4 fois le même paragraphe avant de le comprendre et de le mémoriser. Lorsque j'ai été vraiment bien soignée, j'ai pu reprendre la lecture, et cela a été avec la même soif que lorsque j'étais petite fille. Il s'agissait d'échapper à ma condition de malade. Vers 39/40 ans, j'ai enfin pu écrire, avec un sagesse rétrospective. Lorsque j'avais 20 ans, j'avais fait la découverte du Wyoming, et pour moi qui venais de la ville, ces élevages de moutons, ces randonnées à cheval, ces paysages grandioses, avaient été une révélation. L'endroit sur lequel j'écris, représente comme une graine, comme un embryon, par rapport à l'ouvrage, à l'écriture. Les personnages, les intrigues, n'arrivent qu'ensuite. "

Seconde question posée par l'animatrice, Martine Laval : comment inventer des fictions alors que les premiers livres sont si souvent presque totalement autobiographiques ?

Chez Pam Houston, le but en écrivant des fictions est d'aller vers une vérité toujours plus profonde, et pas forcément évidente à trouver. "Ma fiction, dit-elle, est à 86 % autobiographique. En écrivant, il faut être éveillé, attentif : la fiction est le meilleur vecteur pour trouver dans l'écriture cette vérité. J'utilise un ensemble d'expériences physiques. Je ne suis pas tenue d'exprimer les seuls faits, ce qui c'est passé point par point. J'arrive à la vérité sous-jacente grâce à la liberté que j'ai dans l'écriture de fictions. Je n'utilise pas le côté analytique de mon cerveau, j'écris comme si j'étais dans un état de rêve. C'est ça qui fait surgir la vérité. J'essaye donc de mettre le côté "cérébral" de côté."

Susan Power affirme que son travail est sûrement bien plus autobiographique qu'elle ne voudrait l'admettre. "C'est un peu ironique d'affirmer aujourd'hui que les indiens, vus comme des écolos aux Etats Unis, écrivent comme des champions de la défense de l'environnement, alors que moi, je suis une vraie citadine, j'ai grandi à Chicago, en pleine ville. Mon paysage, ce n'est pas les grandes plaines, c'est surtout l'environnement humain, le quartier, les amis. Je n'allais dans la réserve indienne que de temps en temps rendre visite à ma famille. Quand j'écris, c'est comme si quelqu'un venait à moi et demandait à être entendu. Ma mère dit que ce sont mes ancêtres qui viennent me parler. Je dois admettre qu'elle a raison. Mes personnages, surtout les hommes, et surtout les indiens, ne veulent pas coopérer. Ont-ils existé, sont-ils issus de mes souvenirs ? Je me sens fréquemment hanté par quelqu'un qui demande à ce qu'on l'entende. Un jour, j'ai écrit sur une femme en robe rouge, une héroïne. Ce que j'écrivais sur elle venait si facilement, de manière si fluide... A la sortie du livre, beaucoup d'indiens me demandent : mais de qui donc ce personnage s'inspire-t-il ? Je réponds bien sûr que ce n'est que pure invention ! Mais ma mère alla consulter les archives indiennes et découvrit alors qu'une femme guerrière, qui survécut à de nombreuses batailles, et qui portait tout le temps une robe rouge, avait bien existé !

Judith Freeman quant à elle reconnait que "les possibilités de la fiction sont immenses. La plupart des ses fictions sont autobiographiques. Nos propres vies se racontent entre mémoire et imagination. C'est un gros deal, intéressant, auquel l'écrivain a affaire. Il faut qu'il gère ce rapport entre souvenirs et imagination. La fiction décrit ce qui nous rend humain, ce qui nous connecte, ce qui nous relie. Elle permet d'aborder les choses de la vie de façon oblique, incongrue. Dans la "non-fiction", seule la mémoire intervient. Dans le roman, l'écrivain possède la maîtrise intégrale du déroulement du temps, pouvant résumer plusieurs dizaines d'années à un ou deux paragraphes. Je pense que la fiction permet de mieux comprendre la condition humaine."

Karla Kuban raconte que dans sa famille, personne n'ouvrait jamais un livre. Aujourd'hui encore, c'est pareil. Elle a mis dans son livre de grands fragments autobiographiques. Ainsi, les endroits où elle vivait petite, le fait qu'il y avait 4 filles dans la famille. Mais personne dans son entourage n'a jamais réalisé qu'elle avait interverti personnage du père et de la mère, pour s'inspirer réellement de son enfance, et transposer un père réel violent, autoritaire, en un personnage de mère, dans le roman, ayant les mêmes caractéristiques que son père. Quant à la non-fiction, raconte Karla Kuban, j'ai écrit un seul essai sur les problèmes sociaux dans la ville de Taos au Nouveau Mexique. Cet essai est paru dans le New York Times. Il a été ensuite hors de question que je remette les pieds dans la ville de Taos ! Quant à mon salaire, il a tout juste suffi à acheter une paire de chaussures... Donc, c'est terminé pour moi, les ouvrages de non - fiction  !

 

Compte-rendu : C.J.

 

PRESENTATION DES QUATRE ROMANS

Couverture de l'édition 10.18Danseur d'Herbe, de Susan Power
"Je suis indissolument liée aux vivants, toujours touchée par leurs angoisses. Mon esprit ne quitte jamais les Dakotas, bien que, parfois, il ne puisse assister aux événements en spectateur... J'ai vu dépérir notre langue et, quoique j'aie tendu les mains pour retenir les mots, beaucoup m'ont échappé et on disparu à jamais. Je suis aujourd'hui très bavarde et je disserte aux oreilles de tous ceux de ma nation jusqu'à ce que me gagne la lassitude d'entendre ma voix. Je suis la mémoire, leur dis-je quand ils dorment".

Couverture "Et la vie dans tout ça ?"
Et la vie dans tout ça, Verna ? de Judith Freeman

Couverture Haute Plaine
Haute Plaine, de Karla Kuban

Couverture "J'ai toujours eu un faible..."
J'ai toujours eu un faible pour les cow-boys,
de Pam Houston

 

 

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