Les préfaces sont généralement écrites
pour ne pas être lues. Ou alors comme des postfaces lorsquon veut approfondir son
plaisir. Il serait cependant dommage de faire limpasse sur celle du Bruit et la
Fureur tant les précisions apportées par le traducteur permettent d'aborder le récit
plus facilement.
L'histoire en deux mots : celle de
Quentin, Benjamin, Jason et Caddy, les quatre enfants de Jason et Caroline Combson
entourés de leurs domestiques noirs. Quentin qu'un amour incestueux lie à Caddy se
suicidera à Harvard pendant que Caddy répudiée par son mari confiera sa fille
(prénommée Quentin en hommage au frère disparu) à ses parents. Benjamin, débile
mental, pleure l'absence de sa soeur Caddy. Jason s'occupe mais surtout profite de sa
mère (ultra névrosée) et de sa nièce, ulcéré par le déclin de sa famille il se mure
dans le ressentiment et la haine. Autour des Combson gravitent les serviteurs noirs
dominés par la figure de Dilsey, incarnation de la bonté.
Pour entrer dans les livres de Faulkner il
faut en accepter le tempo et sortir de l'habituel rythme binaire de lecture. Le récit de
Benjamin qui en constitue la première partie, est une mélopée lente et répétitive qui
emporte le lecteur petit à petit. L'écriture s'apprécie dans la longueur et demande de
s'y laisser absorber. Voilà un écrivain à qui les extraits ne peuvent pas rendre
justice, et dont on n'ira pas reprendre des formules brillantes pour attirer le chaland.
La deuxième partie relate la dernière
journée de Quentin avant son suicide. Cette fois Faulkner sur un texte de facture à
priori plus classique multiplie les dissonances. Comme la lumière vient se diffracter sur
un prisme, le texte vole en éclats. Faulkner fait exploser l'ordonnancement traditionnel.
La préface se réfère à l'impressionnisme, c'est pourtant le cubisme qui vient à
l'esprit tant les perspectives sont tordues, imbriquées les unes dans les autres, les
angles multipliés et les points de vue superposés. D'ailleurs la construction de
l'histoire ne respecte pas non plus la chronologie : la première partie se déroule
le 7 avril 1928, la seconde en 1910, la troisième le 6 avril 1928 et la quatrième le 8
avril1928.
Des échos du passé resurgissent dans la
mémoire de Quentin et viennent oblitérer le présent, au point de lui faire perdre pied
avec la réalité. La lecture est une véritable épreuve (à tous les sens du terme),
mais le récit ne livre sa beauté qu'au prix de cette épreuve. Au delà de la démarche
extrêmement ambitieuse de l'écrivain, cest l'écriture qui frappe, elle ne lâche
pas les personnages, ne sautorise pas de virtuosité vaine, ni de digression, juste
les personnages et leur histoire.
Jason est le narrateur de la troisième
partie. Là encore le texte est étouffant, Jason crache sa hargne et justifie sa
médiocrité par des chances qui ne lui auraient pas été accordées contrairement à son
frère décédé et à sa soeur. C'est le discours haineux et désespéré de celui qui
s'exonère à l'avance de toutes ses bassesses. Si dans la partie précédente Faulkner
consentait des moments de grâce, des respirations (description du soleil dans les arbres
et sur les baigneurs, souvenir du nègre sur son cheval, la compagnie de la petite fille),
on reste ici dans la lie de l'humain. Et à cet égard, l'emploi de la première personne
implique encore davantage le lecteur.
Dans la dernière partie, l'histoire
s'accélère et l'auteur reprend la parole, Quentin s'enfuit en piochant trois mille
dollars dans la cassette de son oncle. Jason se lance à sa recherche.
Ce livre est une véritable déflagration.
Non seulement à cause des personnages et de leur destin mais aussi de l'écriture, de son
rythme, de ce forage dans la détresse humaine. On le lit une première fois, on en
ressort commotionné mais on n'en est pas quitte avec lui. On sait qu'il faudra y
retourner un jour.
Jean-Christophe
William Faulkner sur le Web
Article de Thomas Sonnefraud sur le site "L'oeil
Electrique"