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PROFOND, PROFANE, PRIVE

Traduction de
l'article de John Flesher
4 novembre 1998
"N'empruntez pas ce chemin à moins
d'avoir auparavant prévenu par un coup de fil. C'est à vous que je parle !"
Le panneau est posté à l'extérieur de la ferme que possède Jim Harrison dans le Nord
du Michigan. Un avertissement brutal aux chasseurs d'autographe, aux pseudo-écrivains en
mal de conseils, et aux tenants de l'académisme qui pensent être accueillis à coup sûr
pour une discussion intellectuelle stimulante.
"C'est le plus souvent en été, quand
certains professeurs assistants pensent que vous ne pouvez pas attendre pour les
rencontrer, ce qui n'est pas réellement le cas !", dit notre Harrison, costaud et
moustachu, avec un large sourire. "Vous savez pourquoi je vis ici ? Pour leur
échapper !"
Mais c'est de littérature que nous parlons
ici, donc n'oubliez pas la symbolique de son ordre de ne pas abuser. Un simple plaidoyer
pour sa vie privée, oui. Mais on pourrait y voir aussi un plus large reproche envers ces
leurres matérialistes tels les gratifications des bonnes critiques, qui peuvent obscurcir
la vision de l'artiste. Depuis 30 ans, Harrison, 60 ans aujourd'hui, a su rester une sorte
d'outsider dans l'establishment littéraire, collant à ses racines rurales du Midwest,
tout en écrivant de la poésie, des romans courts ou longs, des essais, des scénarios,
et des éditoriaux dans la presse.
Peut-être est-il plus connu pour LEGENDES D'AUTOMNE, recueil de
trois nouvelles publié en 1979. L'histoire-titre qui raconte l'histoire d'une famille du
Montana, marquée au fer rouge par la première guerre mondiale, fut un grand succès de
cinéma en 1994, avec Anthony Hopkins et Brad Pitt.
C'est en traînant les pieds que cet automne,
une saison qu'il dévoue traditionnellement à la chasse à la grouse, dans son chalet de
la péninsule Nord-Michigan, qu'Harrison a été obligé de faire la tournée
promotionnelle de son nouveau roman, LA ROUTE DU RETOUR, et de son
recueil de poésies THE SHAPE OF THE JOURNEY. Beaucoup de critiques ont
estampillé Harrison comme l'un des auteurs leaders de sa génération, il est publié
dans 22 langues, et particulièrement populaire en France. On dit encore que son
retentissement serait plus grand ici -aux Etats-Unis- s'il s'était établi sur la Côte
Est, s'il avait passé plus de temps dans le circuit et les cocktails mondains
littéraires, s'il avait créé plus de personnages cosmopolites que ses fermiers,
chasseurs, indiens, et autres bouseux. Dommage, répond Harrison. Il écrit sur ce qu'il
aime et connaît, et élude avec un haussement d'épaules les questions qui touchent à sa
place dans le monde littéraire.
"J'ai remarqué que certains écrivains,
arrivés au moment où leur réputation est en jeu, engloutissent une énergie qui aurait
pu servir à leur travail, dit il, en allumant une autre cigarette, accoudé au bureau qui
sert pour ses études, dans son grenier reconverti. J'aime aussi le concept qu'il est dans
votre intérêt de vivre loin des centres de l'ambition. On fait bien son travail parce
qu'on ne sait pas ce qui se passe durant les batailles littéraires qui ont lieu à New
York.
LA SUITE DE DALVA
LA ROUTE DU RETOUR s'emboîte
parfaitement dans le terreau "harrisonnien". Une suite à son roman
"Dalva", vieux de 10 ans, qui prolonge l'histoire du personnage de ce premier
roman, une femme passionnée, une métisse au sang mêlé, et sa famille. Situé
principalement dans les plaines du Nebraska, l'histoire est racontée à la première
personne par cinq personnages. Il y a John Northridge, le grand-père de Dalva, un fermier
à moitié sioux, aisé mais amer, qui rêvait d'être artiste. Après la mort de
Northridge, l'histoire se prolonge avec Nelse, le fils nomade de Dalva, qu'elle a mis au
monde à 15 ans et qu'elle a abandonné pour qu'il soit adopté. Dalva elle-même raconte
le final doux-amer qui l'amène à ses retrouvailles avec Nelse. Les critiques
littéraires ont exprimé des opinions mitigées sur la structure complexe de ce roman.
Mais ils ont salué grandement les talents de conteur de Harrison, et son goût du
détail, particulièrement dans les descriptions de paysages, et ses personnages, qui se
débattent avec la vie et l'amour, la spiritualité et la mort. Il inclue des commentaires
sociaux et politiques dans la narration, avec une attention particulière pour la
destruction de l'environnement, la pauvreté, et l'oppression des indiens, dont les
souffrances symbolisent pour Harrison "la tragédie fondamentale de
l'Amérique".
Les sujets de ses passions sont
aussi variés et complexes qu'Harrison lui-même. Profond et profane, solitaire et
grégaire, charmant et hargneux. Ses mots mesurés sont délivrés par une voix de baryton
et ponctués de petits ricanements. Il y a sur les murs de son bureau une reproduction du
Chef Crow WHISTLE (Murmure), une peau-médecine lakota, des formules de sagesses zen, des
photographies de Faulkner et d'Ezra Pound. Il n'y a ni ordinateur, ni machine à écrire,
sur son bureau en désordre. Il écrit à la main.
Lové sur sa chaise, et
regardant avec son seul oeil droit, le gauche, il l'a perdu accidentellement pendant son
enfance, il médite sur la poésie de Whitman et la philosophie de Foucault. Puis, à ce
qu'il semble, il passe aux scandales sexuels concernant Clinton, à son vieil ami Jack
Nicholson, et aux mérites comparés du barbecue en Amérique du Nord et au Texas.
SA CELEBRITE NE
L'EMBARASSE PAS
Oenologue émérite, et
cuisinier gourmet, il a écrit un éditorial culinaire pour Esquire, mais ses goûts
s'accomodent très bien des repas au Dick's Pour House.
Deux petits chapitres
supplémentaires seront bientôt traduits ! |