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Harrison,
retour de l'Ouest Sauvage
Un article de Christian Sauvage

dans Le Journal du Dimanche du 7 mai 2000
Il faut avoir vu débouler l'an
dernier Jim Harrison, James Crumley, et Patrick Raynal (le patron de la Série Noire),
trois chérubins taillés comme des ours, à la recherche d'un verre (les plantigrades
préfèrent généralement le miel à l'alcool) dans les rues de St Malo, pour savoir que
les triplés en sont pas qu'une Bd du Figaro Magazine. Les trois bonshommes barraient la
rue de leurs moustaches, bloquaient les remparts de leurs bedaines, cachaient la mer de
leurs statures. Pareille allure incite au respect. St Malo sans eux, sans harrison, le
nobélisable du lot, serait bien vide. Big Jim revient cette année avec un livre : En
route vers l'Ouest ! C'est simple, l'Ouest, il en vient.
En 1996, déjà à St Malo, Harrison crie
urbi et orbi qu'il en a marre de se prostituer à Hollywood. Prend le fric et tire-toi !
Lassé des caprices de Mogols californiens, de scenarii à écrire à réécrire pour des
analphabètes. Il rentre dans son Michigan natal et se met à un nouveau roman, La route
du retour, magistrale suite (et/ou début) de Dalva. Redevenu le "cyrano du
Michigan", "le Mozart des Grandes Plaines", -c'est fou ce que les critiques
manient le surnom à son endroit-, il se paie le luxe, deux ans plus tard, de faire
revenir un de ses doubles, son personnage de Chien Brun (C.B.), à Los Angeles, pour se
moquer une fois encore de Hollywood dans la première des trois novelas, qui donne le
titre au nouveau livre, En route vers l'Ouest.
Brow Dog, Chien Brun, ne sait pas s'il est
indien, raconte Jim Harrison, air de trappeur dans l'hôtel feutré du 7e arrondissement,
à Paris, où il a ses habitudes. Chien Brun comme beaucoup d'habituants du Michigan, est
sans doute Sang-Mêlé. Les ancêtres de Harrison, viennent, eux, plutôt de Suède (son
hôtel parisien s'appelle l'Hôtel de Suède), mais il a refusé à son éditeur suédois
d'aller y parler de ses livres (Leur cuisine ignore l'ail !!!) Chien Brun donc, zone dans
Los Angeles à la recherche de la peau d'ours que lui a volée son pote indien Lone
Marten. L'occasion de quelques rencontres pittoresques, dont celle de Bob, scénariste
bourré. Le flic de Los Angeles, qui est borné mais à qui on ne la fait pas, grogne :
"T'as jamais été marine, Bob, On connaît ton dossier par cur. T'es qu'un
écrivain."
Réessayez avec "Jim" !
Au passage, on apprend qu'Elvis Presey est
mort de ne pas avoir bu "assez d'eau". "Si, si, c'est vrai ! Un médecin me
l'a expliqué ! " grogne Harrison qui ne connaît l'eau que par ouï dire. Et que le
grand-père de Chien Brun, comme celui de Jim Harrison, affirmait que la vie n'est pas un
bol de cerises. Le Michigan est le royaume de la cerise et le personnage, comme l'auteur,
n'aime pas les cerises.
Pas plus que Harrison Chien Brun n'aime
vraiment l'Amérique. Au fait, qui a qualifié les Etats-Unis de "Disneyland
fasciste" ? Crumley ou Harrison ? "Il pense que c'est moi et je pense que c'est
lui. C'était lors d'une conversation au bar de la rue de l'Université, près d'ici. Et
nous avions trop bu. Mais c'est vrai que l'Amérique devient de plus en plus ça.
Aujourd'hui, les riches ne veulent plus voir les pauvres. Ils ont tellement d'argent
qu'ils ont peur qu'on le leur prenne." Un pays qui, comme tous les grandes
puissances, est né sur la force, sur le massacre des Indiens. Quand vous voulez la terre,
vous volez les rêves", aime à dire Harrison, et l'asservissement des Noirs. Mais sa
colère est plus culturelle que politique. Hollywood, le big business de l'édition New
Yorkaise, la TV, tout cela le met en rage. "Récemment, une équipe de télé est
venue me filmer dans le chalet en pleine forêt où je me retire pour écrire. Ils sont
venus sans rien me demander. J'ai dit "vous voyez ce flingue ; si vous ne
déguerpissez pas immédiatement, la première balle sera pour la caméra, les suivantes
pour les pneus de votre bagnole, et je vous balance dans le lac..."
Pourquoi cette histoire d'amour entre les
Français et Jim Harrison ?
De son côté, on pourrait citer des centaines de bonnes raisons : ail, bandol, bordeaux,
boudin...
Mais plus sérieusement, il a expliqué dans une interview au magazine américain
"Salon" : Les Français me lisent parce que dans mes fictions, il y a la vie de
l'action et la vie de l'esprit. Quand on m'a dit ça, j'ai été surpris, mais c'est vrai
que dans la littérature aujourd'hui, il y a l'un ou l'autre, jamais les deux". La
deuxième novela, La bête que Dieu oublia d'inventer, en est une parfaite illustration,
l'histoire de cet homme qui a perdu la mémoire et qui vit comme un animal dans les bois.
Joe meurt parce qu'il est trop sauvage, vous voyez ce que je veux dire ?
Rencontrer Jim Harrison, c'est comme refaire le plein d'énergie. La dernière des trois
novelas, J'ai oublié d'aller en Espagne, met en scène un écrivain de
"biocompactes", des biographies vite faites, bien payées, qui descend à
l'Hôtel de Suède, à Paris.
Alors, pourquoi pas une autobiographie ?
"J'ai décidé que j'allais bientôt
écrire mes Mémoires. Ma fille m'a dit : Oh, pleaaaase, don't !!!..."
Oh si, Jim !
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