Entretien avec Colum Mc Cann















"Wild a heart" - décembre 1998

Extrait d'un entretien
entre Jim Harrison et Colum Mc Cann
paru dans Les Inrockuptibles

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Question du journaliste (Sylvain Bourmeau) :
Outre l'humanité dont vous parliez tous les deux, ce qu'il y a de commun entre les grandes villes et la campagne, c'est aussi le côté "sauvage" qui ressort dans vos deux livres.

JIM HARRISON. - 
Le côté sauvage est très important, il faut comprendre ce que Thoreau appelait "la grammaire du sauvage".

COLUM MC CANN
Ce que tu exprimes par exemple dans Théorie et Pratique des rivières, avec cette idée de vivre sa vie déguisé en ruisseau.

JIM HARRISON. -
C'est simplement la conséquence logique de la manière dont le vieux Northridge, dans La route du retour, conçoit la vie, comme un continuum. Dans certaines régions de l'Inde, on avait l'habitude d'attacher les fous aux arbres en bordure des fleuves. L'idée était qu'ils guérissent grâce aux mouvements et aux sons du fleuve.

COLUM MC CANN -
Ca rejoint ce que dit l'un des personnages de La Route du Retour : on ne met jamais deux fois les pieds dans la même rivière.

JIM HARRISON -
C'est ça. Ce matin, une femme me faisait remarquer que je n'étais pas très ambitieux. C'est vrai. Je ne le suis pas. Littérairement, je ne l'ai jamais été parce que je sais depuis déjà longtemps que des choses comme l'ambition sont de véritables barrages sur la rivière de ma vie. Ce sont des choses qui t'arrêtent, qui t'embrouillent, te rendent odieux, détestable.

COLUM MC CANN -
Combien de lecteurs as-tu fait pleurer avec ta Route du Retour ? Parce que moi, à la fin...

JIM HARRISON -
Oh, un bon paquet, il faut dire que c'est un peu l'effet recherché -rires-...

COLUM MC CANN -
C'est vrai, c'est bien ça l'idée : briser les cœurs... Mais comment comptes-tu t'en tirer avec tous ces cœurs brisés, comment en répondre ?

JIM HARRISON -
Qu'ils aillent se faire voir. C'est entièrement de leur faute !

COLUM MC CANN -
il faut un sacré courage et une grande force pour écrire des choses aussi sentimentales sans être bêtement sentimental !

JIM HARRISON -
C'est un grand débat que j'ai avec mon ami Thomas Mc Guane. Moi, je pense qu'on peut être sentimental sans tomber dans le sentimentalisme, que les romans ont besoin de ces émotions humaines. Sans les sentiments, on est juste des morceaux de barbaque sur le plancher. Les vrais sentiments sont aussi présents que nos os. Des tas de gens ont dit que Dostoïevski était trop sentimental. Oui, il est sentimental.

COLUM MC CANN. -
Il faut savoir vivre les choses en grand : la grande violence, le grand amour.

(...)

JIM HARRISON -
Il y a des personnages dont on ne peut pas sortir. C'est le problème de la voix quand on écrit un roman : il faut trouver la voix, entrer dedans, mais comment fait-on pour en sortir ?

COLUM MC CANN- 
Comment se défait-on d'un personnage comme Dalva ? Comment as-tu vécu sa mort ?

JIM HARRISON -
IIl m'est arrivé une chose très étrange. Il y a, autour de la frontière mexicaine, un oiseau très rare. Tellement rare que je connais un type qui vit dehors depuis trente ans et qui n'en a jamais vu un seul. Au moment où j'en ai eu fini avec Dalva, j'ai été attiré par un mouvement à l'extérieur, j'ai regardé par la fenêtre de mon bureau de la Hard Luck Grange, et je l'ai vu : une femelle parée de toutes ses couleurs incroyables.

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