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Que dit Jim
à St Malo ?
mai 2000
Lors de la conférence LA
CUISINE DANS LA SERIE NOIRE, le
dimanche 7 mai, Jim Harrison nous confia son dernier coup de foudre : la croustade
de grenouilles, dégustée à Marseille en compagnie de son traducteur Brice
Matthieussent. Il confie qu'à chaque fois que lui-même et B. Matthieussent ont bu un
verre, ils l'ont d'abord levé au souvenir de J.C. Izzo, disparu au début de cette
année.
L'un des plats que Jim Harrison aime cuisiner pour ses visiteurs français
est la bécasse. Jamie Harrison, fille de Jim et écrivain de romans de Série Noire,
apprit la cuisine avec son père, qui l'initia lorsqu'elle était petite fille à l'art de
l'osso bucco et du risotto. Lorsque Jamie était petite, sa mère prenait deux fois par
semaine des cours de tennis. Profitant de son absence, Jim et Jamie se mettaient alors aux
fourneaux... Mais, reconnaît l'auteur, j'amenais ma fille à trop manger...Au bout d'un
moment, comme j'établissais les menus lorsque Jamie était de retour à la maison, elle
finissait par dire : "Arrête, papa !!!" Maintenant, les recettes que je connais
sont plus "élargies", et je peux même mitonner un parfait repas aux allures
marseillaises. Quant à Jamie, adolescente, elle réalisa sur son ordinateur un bouquin de
notre cuisine familiale de 200 pages !
Pour ce qui est des personnages terribles qui hantent les pages de ses
romans, ce n'est pas moi qui l'ai initié, car je suis moi-même tellement gentil !
Quant aux mauvaises critiques, pour moi, qui suis plein de cicatrices, elles n'ont aucune
importance, mais si je dois lire des mauvaises choses sur ma fille, je suis prêt à tuer
! Mais enfin, les souvenirs liés à la cuisine peuvent aussi être une vraie
malédiction.Une fois, je suis allé dans un restaurant suédois, et je leur ai demandé
quelle était leur soupe du jour, ce qu'ils proposaient ce jour-là. Alors la serveuse m'a
répondu "eh bien, nous avons toujours les mêmes sortes de soupes !"

Quant
aux allusions délicates et raffinées dont Jim Harrison a le secret, et qui lui attirent
aussitôt les foudres des féministes américaines, spécialistes pour prendre tout au
pied de la lettre, il revendiqua qu'en vieillissant, il souhaitait rencontrer une femme
aussi passionnante qu'une recette de cuisine. Et il voulut savoir si les femmes auteurs de
série noire invitées à la discussion avaient la même inspiration que lui :
écrivaient-elles des scènes de "bonne bouffe" lorsqu'elles-mêmes avaient
faim, et des scènes de sexe lorsqu'elles se sentaient excitées ? Après quelques rires,
les femmes écrivains en question répondirent qu'elles aimaient écrire une scène de
fiction dont elles rêvent pour ensuite essayer de la réaliser...

Le lundi 8 mai,
s'étaient réunis AUTOUR DE JIM
HARRISON une équipe de
plusieurs mâles admirateurs - dont quelques-uns concourraient pour la bedaine la plus
énorme avec notre homme du Michigan - spécialistes de son uvre (ce qui contrastait
avec l'audience, en grande partie féminine). Chacun de ses exégètes revendiquant que la
même "terre" coulait dans leurs veines,que leur vie n'avait plus tout à fait
le même goût une fois qu'ils avaient découvert les uvres d'Harrison, que ses
livres les ont transportés et qu'ils auraient aimé les avoir écrits, et que
l'enracinement à la nature, pour certains, les rapprochent beaucoup.Il fut question de
lieux, St Malo où la présence de la mer aide à se ressourcer, Marseille,
ville d'Izzo, qui n'est pas trop épurée, où toutes les classes de la société arrivent
encore à se côtoyer.
Il fut question du
Morvan, qui parfois peut prendre des allures de Michigan, surtout lorsque, lors d'une
simple cueillette de champignons,Jim Harrison et son compère se perdent et mettent
plusieurs heures pourretrouver leur chemin. Il fut bien sûr question de l'Amérique,
celle qui nous fit tant rêver, et qui aujourd'hui n'a presque plus rien à voir avec le
mythe idéalisé : la saudade décrite dans LA ROUTE DU RETOUR, c'est un
peu ce qu'on conserve de ce monde perdu, des survivances de Walt Whitman et de Thoreau.
Dans l'uvre d' Harrison, la sensibilité critique qu'il a par rapport au monde est
un tremplin pour décrire un certain nombre de dégoûts (le succès qui
vous pourrit...). "En fait, le nationalisme en littérature met les romans dans
des ghettos, c'est une prison dans laquelle on veut mettre les écrivains.
On doit y résister. Nous écrivons tous bien sûr pour parler de nos origines, des
lieux où nous vivons, mais l'uvre doit avoir une caractéristique universelle. Nos
perceptions sont colorées par notre culture."

Jamie,
dont il est question ici encore, "elle est ma correctrice depuis qu'elle a
18 ans, mais aujourd'hui, elle a moins de temps à m'accorder. Elle est de toutes façons
meilleure correctrice et meilleure cuisinière que moi, et surtout plus intelligente.
L'une de mes dernières nouvelles "LA BETE QUE DIEU OUBLIA D'INVENTER" fera
l'objet d'une adaptation cinématographique sur laquelle nous travaillons, Jamie et moi.
Si nous arrivons à travailler ensemble, c'est qu'on s'entend bien."
Son
dernier recueil de nouvelles, souvent plein d'humour, de truculence, et
d'ironie, Jim Harrison en parle comme d'un baume après l'écriture de LA ROUTE DU RETOUR
: "on ne peut écrire deux romans tels que celui-ci, à moins d'avoir envie de
mourir, et moi je n'avais pas envie de mourir !"
compte-rendu : Caroline Jaymond
Lien avec le site du
Festival des Etonnants Voyageurs

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