Jim Harrison raconte son campement sur le Gray Ranch

L'esprit du débutant, plaidoyer d'un amoureux des grands espaces
Extraits d'un
essai paru dans le Magazine GEO
N° 242, avril 1999 (spécial Amérique des Ranch)
traduction de
Brice Matthieussent
(...) Les chouettes
naines qui se rassemblaient dans le chêne noir au-dessus de notre feu de camp sur le Gray
Ranch ont fait davantage pour que je me sente chez moi sur Terre que la ferme où j'habite
depuis vingt-cinq ans. La présence d'autant de chouettes naines dans un seul arbre vous
décape le cerveau au point que vous les voyez d'un autre il, avec un regard qui
ressemble presque au leur. Le vers de William Blake s'impose en l'occurrence : "Ne
comprends-tu donc pas que le moindre oiseau qui fend l'air est un immense monde de
délices fermé à tes cinq sens ?".
(...) Mais revenons à
notre Terre pas-si-banale-que-ça et au Gray Ranch. Il y a quelques années, lors de mon
premier séjour là-bas, j'ai compris que seuls un aigle royal ou un pilote du bush
étaient capables d'avoir rapidement une vision d'ensemble de 1000 kilomètres carrés.
J'ai ressenti le besoin agaçant de chanter "la majesté des montagnes pourpres"
ou de réactualiser ce fantasme rousseauiste : tout au fond d'un lointain arroyo des
Animas maintenant enveloppé des ombres de janvier, toutes les créatures boivent du lait
dans le même bol doré.
(...) Pendant notre lent
voyage de retour, nettement agrémenté par les arias délirantes de Peacock qui beuglait
tous les airs de blues de son répertoire, la lune illuminait le pic Animas, qui semblait
ainsi se dresser à quelques foulées de nous. Tandis que nous gagnions de l'altitude, le
vent a forci. Le sable et la poussière en suspension dans l'air jaunissaient la lune et
le paysage.Selon mes critères établis à l'aune des Grands Lacs, j'ai estimé la force
du vent à une quarantaine de nuds et nous avons non sans mal arrimé tous les
objets de notre campement. J'ai fait pivoter mon sac de couchage pour qu'il cesse de se
gonfler comme une manche à air, et, de notre talus herbeux, j'ai contemplé le paysage
qui luisait maintenant, fantomatique. Les esprits étaient à pied d'uvre. D'abord
arrivèrent les autochtones, puis les cow-boys du tournant du siècle, les ouvriers
journaliers des empires du bétail. |