Un drôle de loustic
Et voilà Chien Brun,
l'inclassable, l'emmerdeur, le mal élevé... un personnage qui n'a ni compte en banque,
ni numéro de sécurité sociale, ni la plupart du temps de toit au dessus de sa tête.
C'est toutefois l'un des hommes les plus chargés d'humanité de toute l'uvre de Jim
Harrison. La seule chose qu'il possédait réellement avait 4 roues, mais Rose l'a
complètement foutue en l'air... Deux ou trois choses auxquelles il tient par dessus tout
: son nord-Michigan natal et ses forêts glaciales, sa liberté... et une vieille peau
d'ours.
Sur son chemin, les hommes et les femmes qu'ils rencontrent ne peuvent s'empêcher
d'être embarrassés devant ce gaillard qui ne rentre jamais dans aucune case, à
commencer par Shelley, une jeune étudiante en anthropologie de l'Université du Michigan,
qui cherche à faire de lui un être sincère avec ses souvenirs !
Lorsqu'on fait la connaissance la première fois de Chien Brun, dans le recueil
"La femme aux Lucioles", il a 42 ans. D' où lui vient ce surnom
"anishinabe" de Chien Brun : quand il avait 7 ou 8 ans, il traînait toute la
journée autour de la maison d'une famille indienne où vivait Rose, l'élue de son coeur,
guère plus vieille, qui le traîtait par le mépris. Malgré ce surnom, Chien Brun n'a
pas de sang indien : "en fait, explique-t-il, je ne suis pas plus indien que
plombier..." Il a simplement grandi près de la réserve indienne d'Escabana (Nord
Péninsule du Michigan), élevé par son grand-père -ses parents se sont évanouis
dans la nature-. Ce qui ne l'empêche pas de prétendre être un indien lorsque les
circonstances s'y prêtent, ou qu'il veut faire le malin : "Je ne parle pas de mon
peuple aux inconnus... que sais-tu de mon peuple, espèce de sale con merdeux ?"
Voici comment Brice
Matthieussent raconte Chien Brun, dans "JIM HARRISON de A à W" : Chien Brun est un ours, Chien Brun est un
furet, toujours à l'affût et furtif, toujours sur la brèche, imprenable et ouvert,
Chien Brun est un sage. Chien Brun est ignoble, mais c'est le chouchou de Jim Harrison.
C.J.
Une lecture de Chien Brun par
Jean-Christophe
Je viens de faire la
connaissance de Chien Brun grâce à la Femme aux Lucioles. Ne serait il pas le double
déluré de Jim Harrison ? Celui que JH aurait rêvé être ? Débarrassé de certains
tourments existentiels (dépression) et d'obligations sociales (politesse,
représentation). Au milieu de la nouvelle, je n'ai pas pu m'empêcher de vérifier à
quelle époque le livre avait paru. Il me semble que Chien Brun est une gifle au
Reagannisme des années 80. Il revendique ses défauts comme autant de trophées et
enregistre ses échecs sans amertume et surtout sans culpabilité. Il est même le premier
à se moquer de ses mésaventures et à en rire.
Chien Brun est frondeur et insolent parce qu'il retourne aux gens
l'interrogation qu'ils portent sur lui : " comment pouvez vous être ce que vous
êtes ? " De quel droit en plein libéralisme un looser ose-t'il toiser un gagnant ?
On tolère les pauvres à condition qu'ils aient une attitude de pauvre, or Chien Brun ignore
la bienséance, il est non seulement voyant mais aussi bruyant. Chien Brun est un
chieur. Il conserve un côté sale gosse dans son attitude (il ricane
devant plus fort que lui), dans ses réactions imprévisibles (incendie
du campement), dans son goût pour la farce (il hurle
dans le camion derrière le cadavre du chef pour faire peur aux flics). En fait, on ne
peut pas tenir l'histoire de Chien Brun pour acquise : il annonce la couleur d'emblée, il
ne sait pas écrire, il dicte son récit à son amie, et surtout il ment comme il respire.
Donc rien de ce qu'on lit n'est certain. Après tout il est censé avoir quitté son amie
à la fin de l'histoire et celle-ci continue (il retourne voir son amour d'enfance).
Alors, qui note la fin de l'histoire pour Chien Brun ? Et comme de son côté Jim Harrison
lui même est un grand fabulateur... Il choisit ses versions des événements comme on met
une fleur à son veston.
C'est plus ou moins voyant, plus ou moins élégant, tout est une question d'humeur et de
couleur que l'on veut donner aux souvenirs...
J.C.M. |