Article Inrockuptibles mai 2003


MARGE A L'OMBRE

Interview recueillie par Stephane Deschamps
Parue dans Les Inrockuptibles
du 21 mai 2003 (N°390)

Visages de Jim

Extraits

Pourquoi et comment vous êtes vous lancés dans l'écriture de votre autobiographie ?

Jim Harrison : je pensais que ce serait facile et agréable. Evidemment, ça n'a pas été le cas. J'avais oublié tant de choses, je me suis forcé à me souvenir et mon esprit a failli exploser. J'ai dû revivvre des moments désagréables que j'avais choisi d'oublier, comme les première années de mon mariage - c'est devenu agréable après les deux premières années. J'ai une bonne mémoire, mais je me souviens parfois de choses qui ne sont pas arrivées . Je me suis donc adressé à mon frère aîné. J'ai aussi utilisé mes journeaux. J'ai admis les aspects désagréables de ma vie, mais j'ai laissé de côté une partie de la réalité tellement banale que je ne vois pas l'intérêt de la décrire. J'ai écrit ce texte en un an. Ce qui était étrange dans l'écriture de ce livre, c'est qu'on rembobine le film de sa vie, mais ensuite c'est comme un scénario qu'on peut toujours réviser, on fait du couper-coller sur l'ordinateur. Si on pouvait condenser le temps et écrire son autobiographie en un jour, le texte serait différent chaque jour. Ma biographie est ce qu'elle est, mais mes rêves et mon imagination sont tous ce que j'ai à offrir au monde. Je m'arrange avec la réalité pour qu'elle corresponde à mes buts d'écrivains.

Si vous deviez ajouter aujourd'hui un ultime chapitre à votre autobiographie, qu'y raconteriez-vous ?

Jim Harrison : En fait, j'ai l'idée étrange de me lancer dans une nouvelle version de mon autobiographie, qui en serait la version sensuelle. Mes mémoire, c'est la vie, des faits, une chronologie, comme une fiction. Mais je cherche la liberté d'écrire la sensualité de cette histoire, pas seulement les idées et les faits. C'est difficile, mais excitant. C'est comme le livre, Le Quatuor d'Alexandrie de Lawrence Durrell, qui raconte quatre versions de la même réalité. Quand on est sur une route, le paysage est totalement différent, selon qu'on roule dans un sens ou dans l'autre. Voir la réalité sous des angles différents me fascine.

Qu'avez-vous appris sur vous en écrivant ce livre ?

Jim Harrison : Ecrire ce livre m'a oxygéné le cerveau. J'aime faire de longues virées en voiture, en m'obligeant à penser uniquement aux choses auxquelles je n'avais jamais pensé. C'est très mystérieux, des souvenirs qu'on avait complètement oubliés remontent. Je restructure mon cerveau pour ouvrir de nouvelles zones. Ce livre a eu le même effet sur moi, il m'a permis de résoudre des questions que je me pose depuis que je suis gamin, et m'a donné la liberté d'aller de l'avant. Et d'écrire un nouveau roman que j'ai presque terminé et qui est très différent de ce que j'ai fait auparavant.

Quel est le sujet de ce roman et en quoi est-il différent de vos romans précédents ?

Jim Harrison : Ca s'appelle Vera Cruz, c'est l'histoire d'une famille très unie et prédatrice, qui détruit tout sur son passage. J'ai souvent assisté en Amérique au déclin de ce genre de famille. Je suis fasciné par la déliquescence qui survient au fil des générations dans ces familles. Mais à travers cette étude, je me suis aussi demandé comment l'Amérique a pu devenir ce qu'elle est devenue, à savoir le prédateur mondial, le nouvel empire romain fondé sur l'avidité et la religion. La guerre d'Irak, je l'appelle Massacre à la tronçonneuse. Elle me fait vraiment penser à ce film. Ca ne plait pas trop quand je dis ça en Amérique. Mon prochain roman sera plus ouvert que les précédents. Et j'y tue un personnage, ce qui ne m'était pas arrivé depuis vingt ans. C'est très difficile de tuer quelqu'un, au moins dans un roman.

 

La suite à découvrir dans le Journal : Les Inrockuptibles
Du 21 au 27 mai 2003