Un entretien sur France Inter


Un entretien sur France Inter
Quelques questions posées par Eva Bettant
Lundi 16 mai 2003

Visages de Jim

 

Question : Vous avez titré vos mémoires "En marge", chez CH. Bourgeois. En marge, parce que vous vous êtes senti toujours un peu dans votre vie ? Par rapport à quoi ?

Jim Harrison : Je suis une race à part, comme on dit aux Etats Unis. Vraiment très très marginal. Mais ça me va, c'est un endroit confortable pour moi.

Question : Vous voyez ça comment ? Ca veut dire quoi "marginal" pour vous ?

Jim Harrison : Parce que je pense que pour un écrivain, il vaut mieux être "de côté", pas dans le courant principal. Parce que si on crée un image de soi-même, on finit par être piégé par sa propre image. Mais si vous êtes "à côté", on est ce qu'on se construit, on est son propre "buisson". Quand on est dans ce buisson, on peut regarder vers l'extérieur, mais personne ne vous voit à l'intérieur du buisson.

Question : Victime de votre propre image ? Mais quelle image avez-vous de vous ?

Jim Harrison : Comme dit un sage japonais (Dogon) du XIIIe siècle, quand on commence à étudier son self, on finit par l'oublier et l'oublier c'est ne faire qu'un avec des milliers de choses.

Question : Dans votre livre, il y a sept chapitres, comme les sept obsessions, autour de l'alcool... et finalement c'est quand même la disparition et la mort qui vous hantent le plus. Il y a des cicatrices jamais refermées ?

Jim Harrison : Oui, et il y a la nature et la religion aussi. Je ne crois pas qu'il y ait un chapitre plus important que les autres.

Question : Oui, mais la mort est un thème important tout de même...

Jim Harrison : Comme on dit chez nous, personne ne sort d'ici vivant.

Question : Et puis il y a ce mariage extraordinaire entre l'écriture et la nature. C'est de cela dont je voudrais que vous nous parliez. La manière dont chez vous, les choses ne sont pas séparées. Il n'y a pas d'une part l'écriture, et d'autre part, le rapport avec la nature, c'est totalement mêlé chez vous, et vous dites même que c'est le rapport avec la nature qui peut sauver du désespoir. Qu'est ce que c'est que ce lien particulier qu'il y a chez vous ?

Jim Harrison  : C'est assez schizophrénique de notre part d'oublier ce lien. Même Shakespeare disait : nous sommes partie même de la nature, et la nature c'est nous. Même Emmanuelle Béart, qui est une femme magnifique, elle est différente d'un chimpanzé pour 1 % seulement ! on peut toujours voir d'où l'on vient à travers la peau de son crâne.

Question : Pour vous, c'est une chose vitale, vous perdez la vision de votre oeil quand vous avez sept ans, et c'est la nature qui vous console. Et vous le dites à plusieurs moments dans ce livre. La curiosité pour la nature, sauve du désespoir. Est-ce que c'est aussi ça pour vous la nature ?

Jim Harrison : Je pense que oui, mais ça intéresse aussi tellement de gens. La plus grande partie de l'humanité peut se retrouver blessée un jour. Et ce qui est intéressant, c'est de voir comment nous sommes capables de soigner nous-mêmes nos blessures. Et c'est vrai bien sûr, lorsque j'ai été éborgné lorsque j'étais petit, je sortais souvent et j'allais dormir tout seul dans la forêt enroulé dans une couverture.

Question : C'est aussi à cette même période, à l'âge de 7 ans, lorsque vous alliez vous réfugier dans la forêt, que vous avez commencé à écouter l'eau. C'est toujours très vivace, ça, le son de l'eau ?

Jim Harrison  : Oui, et ça me fait penser à ce matin, lorsqu'il a plu. En ce moment, à Paris, je vis au dernier étage d'un hôtel, et j'aime entendre la pluie tomber sur les toits. Et les trois endroits où je vis se trouvent tous les trois au bord d'une rivière.

Question : Une chose assez extraordinaire chez vous dans la manière dont on vous ressent.  A la fois, vous avez une morale qui vient de votre éducation religieuse. Vous dites qu'un auteur, un écrivain, ne peut pas tout se permettre. Et en même temps, vous êtes violent contre le politiquement correct d'aujourd'hui. Il y a les deux qui se mêlent.

Jim Harrison  : Le politiquement correct n'est qu'une invention des universitaires. Des professeurs. Ca ne m'intéresse vraiment pas beaucoup. Un jour je me baladais dans le Nebraska, j'accompagnais un groupe d'universitaires, des gens très sérieux. Et je leur ai dit : écoutez je crois qu'il y a de très belles filles dans le club de streap-tease, on pourrait aller y faire un tour. Il y a en a un qui a dit : non non non. Et les deux autres ont fait les "gros yeux" mais finalement ils y sont allés.

Question : Finalement vous vous êtes beaucoup plus "moral" que beaucoup de gens très stricts. Parce que vous picolez, vous allez au streap-tease. Mais vous respectez la nature. Vous respectez les indiens et toutes les minorités, vous avez un profond respect de la vie. Vous êtes peut -être plus moral que ceux qui jouent les censeurs.

Jim Harrison  : On démontre toujours de la moralité pour ce qu'on respecte. On respecte les gens que l'on aime. La seule moralité dans ce sens là est d'être totalement impliqué dans la façon dont on traîte chaque créature. C'est une sorte de respect. Sauf à l'égard des hommes politiques, pour lesquels je n'ai pas beaucoup de respect.

Question : le fait que George W. Bush soit un ancien alcoolique, ça ne vous rassure pas du tout.

Jim Harrison : C'est très dangereux quand un type qui picole pas mal se met tout à coup à arrêter de boire. C'est un monsieur qui est devenu "un alcoolique sec". Et pour moi, c'est une proposition très dangereuse : il a l'impression que c'est Dieu qui lui parle en direct et qui lui raconte des trucs. Je ne me souviens pas d'avoir entendu dans des Gospels jésus dire : "allez dans ce pays étranger et tuez tous les gens".

Question : et dernière question, que se passe-t-il avec tous ces américains qui se sont mis à nous détester autant ?

Jim Harrison : Non, ça a été créé de toutes mains, c'est un boulot de désinformation. Tous les gens intelligents que je connais se sont donnés le mot, et ils protestent : ils mangent de plus en plus de fromage français, et boivent de plus en plus de vins français. Ca vient de Washington, ils font la même chose pour les canadiens et pour les mexicains, cette sorte de désinformation.